la rose tatouée
1983-90
« en quête d’abord d’un nom (lequel ?) dont tu épouserais les sinuosités... afin de faire corps avec la calligraphie (...) »
Maurice Roche (Compact)
Tenter de prendre corps grâce aux noms des autres (les noms des autres artistes relevés dans les musées), en tatouer l’image de mon corps, les agglutiner sur l’image de ma peau, incorporer -au sens propre- le pouvoir contenu dans ces noms. Histoire de filiation, de généalogie.
Écrire sur la surface sensible d’un papier photographique déjà impressionné par la lumière d’une image (une image d’un fragment de mon corps). La feuille est blanche : l’image, pas encore révélée, est à l’état latent dans la couche sensible, présente mais invisible. J’écris sur cette surface avec du révélateur en guise d’encre : les noms des artistes s’inscrivent, transparents, et lentement l’écriture devient visible ; elle se nourrit de l’image qu’elle révèle dans son tracé. Le texte prolifère à partir de l’image qui le génère sans relâche comme un cocon qu’on dévide. Écriture et image : leur faire prendre corps ensemble, dans le même geste, les forcer à faire corps. Pour ne plus se poser la question de l’origine ?
Certains peuples remodèlent les crânes de leurs morts. L’écriture donne un travaillé du même ordre. A la fois elle masque le corps et le rend objet, manipulable.
Les noms me recouvrent, prolifèrent, mordent sur le gris de la chair, et à force d’insistance, finissent par délimiter un corps, mais démembré, morceaux jetés, épars, réduits à l’anonymat, comme les fragments exposés dans les musées d’anatomie, morceaux sans nom.
Ma voix dicte les instruments de cette dispersion. J’enregistre les listes de noms et j’écris sous cette dictée. La voix vient s’éteindre contre l’image de la peau.
Dans les religions qui s’interdisent la représentation, il y a des lieux vides, vides d’images, mais remplis par la parole qui s’y déploie au moment des offices. Le corps n’y est pas appelé par d’autres corps représentés, corps suppliciés ou corps glorieux, mais par une voix qui vient résonner contre lui.
Plusieurs séries ont été réalisées à partir des artistes présents dans les musées suivants :
Musée des Beaux-Arts de Nîmes, Musée Fabre de Montpellier et Musée d’art moderne de Céret pour une commande du FRAC Languedoc-Roussillon (1983).
Musée d’art roman et gothique de Barcelone (1983).
Fondation Guggenheim à Venise (1984-85).
Musée du Centre Georges Pompidou à Paris (1985).
Musée du Petit Palais à Avignon (1984-86).
Musée des Offices à Florence (1986).
Musée de l’Académie à Venise (1986-87).
Musée du Louvre à Paris (1987).
Musée d’art moderne à New-York (série des initiales) (1989-90).
Musée du Prado, Madrid (1990-91).
Epreuves NB, 50 x 60 cm environ.
Exemplaires uniques.
« R. Pélaquier travaille à partir de photographies de son propre corps, … Dans la chambre noire, à l’agrandisseur, elle écrit sur le papier sensible à l’aide d’une plume ou d’un pinceau trempé dans du révélateur le nom des peintres ou des sculpteurs relevés dans les musées en question. La forme photographiée sort de l’ombre sous l’inscription serrée des noms. L’image naît de l’écriture. La photo naît des noms de la peinture. Et la forme qui apparaît, couverte d’inscriptions et de marques diverses, fait penser à une sculpture dans quelque galerie de plâtres d’un musée oublié, couverte de graffitis. L’image pourtant est sans conteste photographique ; et le procédé par lequel elle est obtenue n’est-il pas le principe même de l’apparition de toute image photographique? Aucune manipulation véritable, donc, mais plutôt une prise en compte lucide et émouvante de la situation de l’artiste qui fabrique des images, par amour peut-être pour celle des maîtres du passé, en tout cas dans leur ombre et leur descendance. Aucune œuvre photographique n’a su aujourd’hui, avec autant d’économie, et autant de réussite plastique dire tout ce qu’il y a à dire sur ce problème – sur notre condition de tard-venus dans le monde des images, et sur la naïveté qu’il y aurait à croire que les photographies puissent magiquement s’arracher à cette question de la filiation. »
Régis Durand, Le Regard pensif, Paris, La Différence, 1988.
Assemblage 70 x 120 cm
MOMA, New-York, 24 épreuves 25,5 x 37 cm
(Initiales des artistes du MOMA dont le nom commence par la lettre A)
Jasper JOHNS, 30 x 120 cm